Ils ont abordé divers sujets, Hohndel rappelant que les sujets ne sont pas préparés à l’avance : « nous ne parlons jamais de mes questions d'avance, donc c'est en effet une conversation en direct ». Il lui a posé des questions sur la prochaine version « vraiment grosse » du noyau 5.8. Hohndel s'est demandé si ce volume important pourrait être une conséquence du confinement des développeurs en raison du coronavirus.
Torvalds, qui a toujours travaillé de son domicile, a déclaré : « il est possible que 5.8 soit [aussi volumineux] à cause du fait que les gens restent chez eux, mais il se peut également que plusieurs groupes différents aient fini à peu près en même temps de travailler sur de nouvelles fonctionnalités en 5.8 ». Et de noter « qu’il pourrait s'agir de l'une de ces versions où, en raison de sa taille, nous devrons retarder la version finale et passer par une ou deux RC [Release Candidate] de plus que d'habitude » ajoutant que « jusqu'à présent, les choses se sont passé sans accrocs ».
Linux a noté que le coronavirus n’a pas eu d’impact trop négatif sur le développement de Linux : « L'une des choses qui est si intéressante à propos de la communauté Linux est de voir à quel point elle a toujours été basée sur le courrier électronique et distante, à quel point nous nous réunissons rarement en personne ».
La diversité de la communauté Linux
Compte tenu de l’actualité dans le monde, Hohndel a abordé la question de la diversité dans la communauté des développeurs du noyau Linux : « l’une des choses que j'ai trouvées frappantes lorsque je regarde notre communauté et la CNCF [Cloud Native Computing Foundation], je vois une part beaucoup plus importante de contributeurs et de dirigeants noirs, Kelsey Hightower et Bryan Liles. Et je ne pense pas que je vois cela sous Linux. Est-ce juste que je ne vois pas les bonnes personnes, ou sommes-nous moins diversifiés sur le plan racial que certaines fondations plus jeunes ? »
Torvalds a répondu : « Honnêtement, je ne sais pas et pour deux raisons : l’une est que je me dis que beaucoup de gens qui travaillent sur les technologies bas niveau sont des personnes qui ont commencé il y a plusieurs décennies . Et c'est ainsi qu'ils sont entrés dans toutes les interfaces matérielles de bas niveau et dans les systèmes d'exploitation. Mais l'autre raison c'est que littéralement je ne sais pas ».
Torvalds a ajouté que l'équipe de développeurs du noyau est une « foule très homogène. Mais je ne connais même pas tous les nouveaux développeurs que, nous avons à chaque version. Nous avons plus de 1000 nouveaux développeurs. Et je ne sais pas ce que sont les gens ou si ce sont même des gens. Il pourrait y avoir des Pull Request envoyées par des intelligences artificielles ».
Il a également émis l'hypothèse qu'une raison pour laquelle la CNCF et d'autres projets plus récents pourraient avoir une communauté de développeurs plus hétérogène est que, franchement, les programmes liés au cloud sont plus intéressants : « j’ai dit aux gens que s'ils recherchaient un nouveau projet passionnant, les kernel ne sont pas l'avenir. Les bases d'un système d'exploitation moderne ont été définies dans les années 60 ».
Torvalds a continué en disant que beaucoup de travail sur le noyau se résume à « faire des choses littéralement très fondamentales ; nous nettoyons et résolvons les problèmes ». Le noyau Linux, a déclaré Torvalds, est à la fois ennuyeux et intéressant. « Par ‘ennuyeux’ je sous-entends que beaucoup de nouvelles technologies devraient être plus intéressantes. Pour moi et pour beaucoup d'autres personnes, il n'y a rien de plus intéressant que d'interagir à bas niveau avec le matériel et vraiment contrôler tout ce qui se passe. Les kernel ne sont pas ennuyeux, mais la plupart des gens devraient les considérer comme tels ».
Mais, si vous êtes vraiment intéressé par l'interaction de bas niveau entre le matériel et le système d'exploitation, Torvalds a déclaré : « il y a beaucoup de travail technique intéressant en ce moment ».
Vient alors la question de la prochaine génération
Hohndel a noté : « Beaucoup d'entre nous avons un âge qui commence par le chiffre cinq, tandis que certains se rapprochent de la soixantaine. Donc, à un moment donné, en tant que communauté, nous devons commencer à penser au changement générationnel ».
Ce à quoi Torvalds a acquiescé : « Oui, nous vieillissons ». Il a poursuivi en reconnaissant que bon nombre des développeurs parmi les plus anciens « sont passés de la maintenance et à la gestion. Je n'aime pas le mot gestion, parce que je ne me considère pas comme un gestionnaire, mais en réalité c'est ce que je fais ».
« Les nouvelles personnes sont celles qui font souvent le travail [de programmation]. Nous avons des gestionnaires et des employés qui vieillissent c'est, je pense, un problème complètement différent. Mais nous avons une génération de personnes dans la trentaine qui gravit les échelons des mainteneurs et nous pouvons espérer avoir cette prochaine vague de personnes à qui nous passerons le relais. Après tout, nous faisons cela depuis près de 30 ans et nous devons donc commencer à réfléchir sur les 20 à 30 prochaines années. Il est donc nécessaire d’avoir cette prochaine génération ».
Mais Torvalds a identifié un problème : « Nous n'avons pas assez de mainteneurs. Il s'avère qu'il est vraiment difficile de trouver des personnes qui sont des mainteneurs. C'est intéressant et difficile, mais l'un des inconvénients d'être un mainteneur du noyau est qu'il faut être là tout le temps. Ce n'est peut-être pas 24 heures sur 24, mais chaque jour vous devez réagir au courrier électronique, vous devez être disponible ».
De plus, « nous avons beaucoup de gens qui écrivent du code. Nous avons des centaines de personnes qui sont débutantes et c'est généralement plus que la plupart des projets . Mais en même temps, le seul véritable blocage que nous avons souvent, c'est notre besoin pour les mainteneurs qui vont consulter le code des autres et les aider ».
Un autre problème avec la recherche de mainteneurs est que : « cela prend du temps, il faut de l'expérience. Vous devez avoir fait cela pendant un certain temps, en tant que mainteneur de bas niveau, pour monter lentement et gagner la confiance d'un nombre suffisant de personnes, y compris vous-même. Cela prend du temps ».
C, le langage dans lequel le noyau est pour la plupart écrit, est-il progressivement remplacé par Go et Rust ?
Est-ce que C, le langage dans lequel le noyau est pour la plupart écrit, est remplacé par Go et Rust, de sorte qu'il y a « un risque que nous devenions les programmeurs COBOL des années 2030 ? », s’est demandé Hohndel. « C est toujours l'un des 10 langages les plus populaires », a répondu Torvalds. « Les gens cherchent activement à faire des pilotes et des choses qui ne sont pas très centrales pour le noyau, par exemple, en Rust. Les gens cherchent à le faire depuis des années maintenant. Je suis convaincu que cela va arriver un jour. Ce ne sera peut-être pas Rust, mais il va arriver que nous disposions de différents modèles pour écrire ce genre de choses, et C ne sera pas le seul ».
Qu’en est-il de Linux on Arm ?
« Je me demandais si le passage d'Apple à Arm ferait d'Arm64 une véritable plateforme de premier ordre », a déclaré Hohndel.
« Au cours des 10 dernières années, je me suis plaint du fait qu'il est très difficile de trouver du matériel Arm utilisable par un développeur », a répondu Torvalds. « Je pense que le fait qu'Apple passe à Arm aidera l'écosystème Arm du point de vue du développement... J'espère que dans quelques années, il y aura un puissant bureau Arm qui pourra être utilisé pour le développement.
« Vous pouvez faire du développement dans le cloud. Amazon avec Graviton 2 a fait beaucoup mieux dans l'écosystème Arm dans le cloud que nous l'avons vu auparavant.
« Mais le développement cloud n'est pas le type de développement que la plupart des développeurs de noyau veulent faire. Vous voulez avoir la machine devant vous. Vous ne voulez pas simplement développer pour Arm, vous voulez utiliser Arm au jour le jour sur le bureau. C'est mon sentiment ».
Source : Conférence Open Source Summit and Embedded Linux