La semaine dernière, Linus Torvalds a poursuivi un long entretien par courriel avec Jeremy Andrews, partenaire fondateur et CEO de Tag1 (une société internationale de conseil en technologie et le deuxième plus grand contributeur de tous les temps à Drupal). Dans la première partie de l’entretien en avril, Torvalds avait discuté de tout, des puces ARM64 d'Apple et des pilotes Rust, à son propre environnement de travail à domicile basé sur Fedora et ses réflexions sur les premiers jours de Linux. Mais la deuxième partie offre un aperçu plus profond de la façon dont Torvalds pense, un aperçu personnel, ce qu'il partagerait avec d'autres mainteneurs de projets et quelques réflexions sur la façon d'inciter les entreprises à contribuer au développement de l'open source.
« Je fais un système d'exploitation (libre) (juste un hobby, il ne sera pas grand et professionnel…) ». C’est ainsi que, trente ans plus tôt, Linus Torvalds a commencé son annonce, lorsqu'il a publié pour la première fois le noyau Linux, alors qu’il était étudiant à l'Université d'Helsinki. Trois décennies plus tard, les 500 premiers superordinateurs fonctionnent tous sous Linux, tout comme plus de 70 % des smartphones. Linux est clairement à la fois grand et professionnel. Dans le cadre de la 30e année du noyau Linux, Linus Torvalds a répondu aux questions de Tag1 par courriel.
Linus a dévoilé la manière dont il a procédé lorsqu'il a commencé le projet : « Je me souviens encore des tout premiers jours, lorsque les gens m'envoyaient des correctifs, et que je ne les appliquais pas vraiment en tant que correctifs, mais que je les lisais, que je comprenais ce que les gens voulaient faire, et que je le faisais moi-même. Parce que c'est ainsi que j'avais commencé le projet, et c'est ainsi que je me sentais plus à l'aise, et que je connaissais mieux le code ». Linus a aussi expliqué qu'il était important d'apprendre à déléguer, « J'ai arrêté de le faire assez rapidement, parce que je suis fondamentalement paresseux. Je suis devenu très bon pour lire les patchs et comprendre ce qu'ils faisaient, et ensuite je les appliquais simplement ».
Linus s'est également efforcé de rester impartial au fur et à mesure que Linux s'est développé et a connu le succès : « J'ai très consciemment voulu ne pas travailler pour une société Linux, par exemple. J'ai maintenu Linux pendant la première décennie sans que ce soit mon travail. Ce n'est pas parce que je pense que les intérêts commerciaux sont mauvais, mais parce que je voulais m'assurer que les gens me voyaient comme une partie neutre, et n'avaient jamais l'impression que j'étais "la concurrence". »
Alors que l'open source a connu un énorme succès, beaucoup des plus grands utilisateurs, par exemple les entreprises, ne font rien ou peu pour soutenir ou contribuer aux projets open source dont ils dépendent. Andrews a voulu savoir si Linus pense que ce genre de problème peut être résolu, et si le modèle open source était viable.
« Je n'ai pas vraiment de réponse à cette question, et pour une raison quelconque le noyau a toujours évité le problème », a-t-il répondu. « Oui, il y a des entreprises qui sont de purs "utilisateurs" de Linux, mais ils finissent toujours par avoir besoin de support, alors ils s'appuient sur les entrepreneurs ou les distributions Linux, et ceux-ci finissent évidemment comme l'une des grandes sources d'emplois pour les développeurs du noyau ».
Il poursuit en écrivant : « Et un bon nombre de grandes entreprises technologiques qui utilisent le noyau finissent par participer activement au processus de développement. Parfois, elles finissent par faire beaucoup de travail interne et ne sont pas très douées pour faire remonter les choses en amont (je ne citerai pas de noms, et certaines d'entre elles essaient vraiment de faire mieux), mais il est en fait très encourageant de voir combien de grandes entreprises sont très ouvertement impliquées dans le développement du noyau en amont, et sont des membres importants de la communauté ».
À la question de savoir si l'open source est durable ou non, Linus a répondu : « Oui. Je suis personnellement convaincu à 100 % que non seulement l'open source est durable, mais que pour les questions techniques complexes, vous avez vraiment besoin de l'open source simplement parce que l'espace du problème finit par être trop complexe pour être géré par une seule entreprise. Même une entreprise technologique importante et compétente ».
Clé du succès des mainteneurs de projets open source : « être là TOUT LE TEMPS » et « être ouvert »
Quand Andrews a voulu savoir ce qui fait le succès d'un projet open source, Linus a admis : « Je ne sais pas vraiment quelle est la clé du succès. Oui, Linux a eu beaucoup de succès, et il est clair que Git aussi a commencé du bon pied, mais il est toujours très difficile d'attribuer cela à une cause plus profonde. Peut-être ai-je simplement eu de la chance ? Ou est-ce que c'était parce que parmi tous ces gens qui avaient besoin de ces projets, j'étais celui qui s'est levé, qui a fait le travail et qui a lancé le projet ? »
Mais Linus a fini par expliquer « quelques points pratiques et terre-à-terre que je considère personnellement comme importants si vous êtes un mainteneur de logiciels open source ». Il recommande qu’un responsable d'un projet open source soit tout le temps « présent ».
« Vous devez rester dans le coin, vous devez être là pour les autres développeurs, et vous devez être là TOUT LE TEMPS. Vous rencontrerez des problèmes techniques, et ce sera frustrant. Vous travaillerez avec des personnes qui peuvent avoir des idées très différentes sur la façon de résoudre ces problèmes techniques. Et les problèmes techniques sont en quelque sorte la partie la plus facile, car ils ont généralement des solutions techniques, et vous pouvez souvent dire assez objectivement "ceci est mieux/plus rapide/plus simple/quoi que ce soit" ».
L'autre clé que Linus a expliquée, c’est d’être « ouvert » – « être ouvert aux solutions des autres, et ne pas avoir cette idée très claire et inflexible de la façon dont les choses devraient être faites ».
Mais Linus dénonce l’une des façons d’être ouvert : « Il est vraiment facile de créer une sorte de "clique" de personnes, où vous avez une cabale interne qui discute des choses en privé, et ensuite vous ne voyez vraiment que le résultat final (ou le travail marginal) au grand jour, parce que toutes les choses importantes se sont produites à l'intérieur d'une entreprise ou au sein d'un groupe central de personnes, et les étrangers ont du mal à pénétrer dans cette clique, et souvent ont même du mal à voir ce qui se passe dans ce groupe central parce que c'était tellement privé et exclusif ».
« C'est l'une des raisons pour lesquelles j'aime vraiment les listes de diffusion ouvertes. Pas une liste "sur invitation". Il n'est même pas nécessaire de s'inscrire pour y participer. C'est vraiment ouvert. Et pratiquement toutes les discussions sur le développement devraient s'y trouver ».
Parlant d’autres compétences spécifiques nécessaires pour réussir les projets open source, Linus a expliqué son expérience. Selon lui, « ce n'est pas le résultat de la planification et de la lecture de manuels de gestion, etc. La plupart des choses se sont produites d'elles-mêmes, et la structure que nous avons aujourd'hui ne provient pas d'un organigramme écrit, mais de personnes qui ont simplement "trouvé leur place" ». Comme déjà mentionné plus haut, Linus recommande la délégation des tâches. Il a aussi mentionné les compétences en communication comme « très importantes ».
Où voyez-vous Linux dans 30 ans ? Et qu'envisagez-vous comme rôle à ce moment-là ? En réponse à ces questions, Linus a écrit qu’il ne se projetait pas à long terme. « Je n'ai pas de "plan sur 30 ans". Je n'ai même pas un plan sur 5 ans. En fait, je ne prévois pas plus d'une version ou deux (ce qui ne représente évidemment que quelques mois). En tant qu'ingénieur, j'ai la ferme conviction que "les détails comptent". Les détails sont presque la seule chose qui compte. Si les détails sont bien réglés, le reste suivra ».
Il poursuit en disant : « J'aime donc dire que je suis un "ingénieur laborieux". Je regarde ce qui se passe en ce moment, je regarde les problèmes que nous avons maintenant, et je ne planifie pas vraiment l'avenir en dehors de savoir que "je dois maintenir le résultat final", donc je veux m'assurer que le travail que nous faisons aujourd'hui ne sera pas un énorme problème demain ».
Linus et la Linux Foundation
Quand Andrews a voulu savoir son implication dans la création de la Linux Fondation et le rôle qu’il y a joué, il a répondu : « Je n'ai rien du tout à voir avec la création de l'OSDL (et ensuite de la Linux Foundation). Je suis littéralement juste un employé, bien qu'un employé de haut niveau avec le titre de "fellow" ». Bien qu’il ait été employé par l'OSDL, il n'en faisait pas partie personnellement : « Je suis très consciemment resté très concentré sur le seul côté technique du développement du noyau ».
Après avoir expliqué quelques attributions de l’OSDL et de la Linux Foundation, il poursuit en disant : « LF fait beaucoup d'autres choses que de simplement soutenir quelques développeurs clés comme moi et Greg KH. En fait, il fait tellement de choses que vous feriez mieux de consulter le site Web de LF (ou celui de Wikipedia). LF finit par faire beaucoup d'infrastructures de différents types : certaines techniques (comme kernel.org), mais beaucoup d'autres "supports" – organiser des conférences, avoir beaucoup de groupes de travail pour les partenaires industriels, des choses comme ça ». L’entretien a pris fin sur beaucoup d’autres questions liées à ses centres d’intérêt, y compris la politique des États-Unis.
Source : Tag1 BLM
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Linus recommande aux mainteneurs de logiciels open source « d’être là TOUT LE TEMPS » et « d’être ouvert » pour réussir dans leurs projets. Qu’en pensez-vous ?
Linus a aussi mentionné les compétences en communication comme « très importantes ». Quels commentaires en faites-vous ?
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Le , par Stan Adkens
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