Après 31 ans, un deuxième langage de programmation a été admis pour le développement du noyau Linux : c’est le Rust. Un premier aperçu de Rust for Linux est disponible dans la version 6.1 du noyau. Même si Jonathan Corbet précise « qu’il n’y aurait pas encore assez de Rust dans le noyau pour faire quoi que ce soit d’intéressant », l’inclusion de ce langage vient raviver le débat sur la nécessité de la mise au rebut du langage C au profit du Rust en matière de programmation système. La question divise la communauté des développeurs.
Asahi Linya s’est penchée sur la tâche de développement d’un pilote pour unité de traitement graphique (GPU) pour les Macs M1 et ce, en Rust. Son comparatif entre les langages Rust et C se fait sans langue de bois : « Il n'y a absolument aucune chance que je n'aie pas eu à faire face à la gestion d’accès concurrents, des tentatives d’accès de zones mémoire après libération et toutes sortes d'autres problèmes si j'avais écrit cela en C. Tous les problèmes de concurrence disparaissent avec Rust ! La mémoire est libérée quand elle doit l'être ! Une fois que vous avez appris à faire fonctionner Rust avec vous, j'ai l'impression qu'il vous guide pour écrire du code correct, même au-delà des promesses de sécurité du langage. C'est vraiment magique ! »
« Il y a beaucoup de débats sur l'utilité ou non de Rust dans le noyau... d'après mon expérience, c'est bien plus utile que je ne l'aurais jamais imaginé ! », ajoute-t-elle.
Son retour d’expérience est une espèce de redite d’une compilation de raisons techniques susceptibles de justifier une mise au rebut du langage C au profit du Rust. En effet, 15,9 % des 2288 vulnérabilités qui ont affecté le noyau Linux en 20 ans (chiffres du dictionnaire Common Vulnerabilities and Exposure (CVE)) sont liées à des tares que traînent le langage C : problèmes liés à la gestion de la mémoire – dépassements de mémoire tampon, allocations non libérées, accès à des zones mémoire invalides ou libérées, etc.
De plus, les principaux mainteneurs du noyau Linux sont des habitués du langage C dont l’âge commence par le chiffre 5. Certains se rapprochent même de la soixantaine. Une nouvelle génération de mainteneurs dont la tranche d’âge se situe dans la trentaine gravit les échelons et donc la difficulté de trouver des mainteneurs pour le noyau Linux risque d’aller croissant si son développement se poursuit en langage C. C’est pour autant de raisons que Linus Torvalds a ouvert la porte au développement du noyau en Rust.
Sur la question de l’éventualité d’une mise au rebut du langage C, le créateur du langage C3 liste un ensemble de raisons pour lesquelles les initiatives allant dans ce sens ont de fortes chances d’échouer :
La chaîne d'outils du langage C
Le langage C n'est pas seulement le langage lui-même, mais aussi tous les outils de développement développés pour ce langage. Vous voulez faire une analyse statique de votre code source ? - Il y a beaucoup de gens qui travaillent sur ce sujet pour le C. Des outils pour détecter les fuites de mémoire, les courses de données et autres bogues ? Il y en a beaucoup, même si votre langage est mieux outillé.
Si vous voulez cibler une plateforme obscure, il est probable que vous utilisiez le C. Le statut du C en tant que lingua franca de l'informatique d'aujourd'hui fait qu'il vaut la peine d'écrire des outils pour ce langage, et de nombreux outils sont donc écrits.
Si quelqu'un a mis en place une chaîne d'outils qui fonctionne, pourquoi risquer de changer de langage ? Un "meilleur C" doit apporter beaucoup de productivité supplémentaire pour motiver le temps passé à mettre en place une nouvelle chaîne d'outils. Reste même à savoir si cela est possible.
Les incertitudes d'un nouveau langage
Avant qu'un langage ne soit arrivé à maturité, il est probable qu'il comporte des bogues et qu'il soit modifié de manière significative pour résoudre les problèmes de sémantique du langage. Et le langage est-il même conforme à la publicité ? Il offre peut-être quelque chose comme "des temps de compilation exceptionnels" ou "plus rapide que le C" - mais ces objectifs s'avèrent difficiles à atteindre lorsque le langage ajoute l'ensemble des fonctionnalités.
Et qu'en est-il des mainteneurs ? Bien sûr, un langage open source peut être bifurqué, mais je doute que de nombreuses entreprises soient intéressées par l'utilisation d'un langage qu'elles pourraient être obligées de maintenir plus tard. Parier sur un nouveau langage est un gros risque.
Le fait que le langage pourrait tout simplement ne pas être assez bon
Le langage s'attaque-t-il aux véritables points faibles du C ? Il s'avère que les gens ne sont pas toujours d'accord sur ce que sont les points sensibles du C. L'allocation de mémoire, la gestion des tableaux et des chaînes de caractères sont souvent délicates, mais avec les bonnes bibliothèques et une bonne stratégie mémoire, elles peuvent être minimisées. Le langage ne traite-t-il pas des problèmes dont les utilisateurs avancés ne se soucient pas vraiment ? Si c'est le cas, sa valeur réelle pourrait être beaucoup plus faible que prévu.
Et pire encore, que se passe-t-il si le langage omet des fonctionnalités cruciales qui sont présentes en C ? Des fonctionnalités sur lesquelles les programmeurs avancés du C comptent ? Ce risque est accru si le concepteur du langage n'a pas beaucoup utilisé le C, mais vient du C++, du Java, etc.
L’absence de développeurs expérimentés pour un nouveau langage
Un nouveau langage disposera naturellement d'un groupe beaucoup plus restreint de développeurs expérimentés. Pour toute entreprise de taille moyenne ou grande, c'est un énorme problème. Plus il y a de développeurs disponibles pour une entreprise, mieux elle se porte.
De plus, si l'entreprise a l'expérience du recrutement de développeurs C, elle ne sait pas comment recruter pour ce nouveau langage.
L'ABI C
Si le langage ne peut pas facilement appeler - ou être appelé - par du code C, alors toute personne utilisant le langage devra faire un travail supplémentaire pour faire à peu près tout ce qui est interface avec du code extérieur. C'est potentiellement un énorme inconvénient.
Source : lkml
Et vous ?
Pourquoi le langage C pourrait encore avoir de longues années devant lui ?
Le C a-t-il vraiment besoin d’un remplaçant en matière de programmation système ?
Le problème avec le C n’est-il pas plutôt le mauvais usage que certains développeurs en font ?
Voyez-vous des firmes comme Intel faire migrer des projets comme l’UEFI vers le Rust ? Doivent-elles plutôt envisager de passer au Rust pour leurs futurs projets ?
Voir aussi :
Programmation : une étude révèle les langages les plus voraces en énergie, Perl, Python et Ruby en tête, C, Rust et C++, les langages les plus verts
Linus Torvalds souligne une bonne avancée du langage Rust dans le développement du noyau Linux, et aurait qualifié le C++ de « langage de m... », après le message de Google
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Le , par Patrick Ruiz
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