
amorçant sa souveraineté numérique suite au blocage d'un compte Microsoft ordonné par Washington
Le Danemark s'apprête à entreprendre une transition numérique majeure en délaissant les logiciels de Microsoft, notamment Office et Windows, au profit des solutions open source LibreOffice et Linux. Cette décision, portée par le ministère danois des Affaires numériques, s'inscrit dans une volonté de souveraineté numérique, de réduction des coûts et d'indépendance technologique.
Contexte
Le Danemark s'inquiète de savoir qui contrôle les données européennes, qui fixe les règles et qui peut éventuellement couper l'accès à des services essentiels en cas de tensions géopolitiques.
Par exemple, après que la Cour pénale internationale (CPI), basée dans l'UE, a émis des mandats d'arrêt contre le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ancien ministre de la défense, Yoav Gallan, pour crimes de guerre, le président Donald Trump a pris des sanctions contre la CPI. Selon certains rapports, cet ordre aurait incité Microsoft à bloquer les comptes de messagerie du procureur général de la CPI, Karim Khan.
Le Danemark abandonne Microsoft Office et Windows pour LibreOffice et Linux
La responsable du ministère danois de la numérisation a déclaré que son département allait se détacher de Microsoft, en commençant par LibreOffice.
Dans une interview accordée au journal danois Politiken, Caroline Olsen, la ministre des Affaires numériques du pays, a déclaré qu'elle envisageait de montrer l'exemple et de commencer à supprimer les logiciels et les outils Microsoft du ministère. La ministre a déclaré au quotidien danois Nordyske de Jutland qu'il était prévu que la moitié des ordinateurs du personnel (y compris le sien) soient équipés de LibreOffice à la place de Microsoft Office 365 dès le premier mois, l'objectif étant de procéder à un remplacement total d'ici la fin de l'année.
Étant donné qu'au début de l'année, le président américain Donald Trump a évoqué à plusieurs reprises la possibilité de la prise de contrôle du Groenland, un territoire autonome du Danemark, il semble tout à fait compréhensible que le pays s'intéresse nettement plus à la souveraineté numérique comme l'a expliqué le gourou danois de Ruby, David Heinemeier Hansson, plus tôt ce mois-ci :
« La récente mise à l'écart du procureur général de la CPI, sur ordre de l'administration américaine, n'aurait pas pu arriver à un pire moment pour Microsoft. Un mois auparavant, les responsables de Redmond avaient tenté d'assurer à l'Europe que tout allait bien. Que toute spéculation sur le fait que les Européens pourraient être coupés de l'infrastructure numérique critique n'était que peur, doute et incertitude. Puis, tout ce que les Européens craignaient de voir arriver s'est produit à La Haye. Oups !
« Les assurances de Microsoft se sont heurtées à la réalité et c'est la réalité qui l'a emporté.
« Cette réalité, c'est que toutes les administrations américaines ont le pouvoir de déconnecter n'importe quel individu, entreprise ou gouvernement étranger de l'infrastructure numérique fournie par les grandes entreprises américaines. En ce sens, il est donc inutile de blâmer Microsoft pour le pouvoir de sanction dont est investi le Bureau ovale. Mais nous pouvons certainement lui reprocher d'avoir enfumé l'Europe sur les risques.
« Ce qui est plus important que l'attribution des responsabilités, c'est de sortir l'Europe de l'impasse dans laquelle elle se trouve. Le continent est désespérément dépendant des Big Tech américaines, même pour les infrastructures numériques les plus élémentaires. Si cette administration américaine, ou la suivante, décide d'utiliser à nouveau son pouvoir de sanction, l'Europe se trouve dans un véritable pétrin. Et avec les actions entreprises contre la CPI à Haag, l'Europe serait négligente d'ignorer la menace.
« Le Danemark encore plus. Ce n'est un secret pour personne que les tensions entre le Danemark et les États-Unis sont à un niveau historique. Trump ne cesse de répéter qu'il souhaite s'emparer du Groenland par tous les moyens possibles. Les services de renseignement américains ont reçu l'ordre d'intensifier leur espionnage du Danemark et du Groenland. Naturellement, les Danois sont effrayés. Ils ont raison de l'être !
« Quoi qu'il arrive avec le Groenland, les négociations commerciales ou les désaccords géopolitiques, l'Europe aurait tout intérêt à devenir numériquement souveraine. Cela ne signifie pas qu'il faille se couper de toute technologie américaine, mais cela signifie qu'il faut rejeter tous les services qui peuvent être désactivés à partir de Washington. En ce qui concerne Microsoft, cela signifie qu'il n'y aura plus de Microsoft 365, plus de Teams, plus d'Azure ».
Une quête de souveraineté numérique et de maîtrise technologique
Au cœur de cette transition se trouve une ambition profonde de « souveraineté numérique ». Le Danemark, à l'unisson avec une tendance grandissante au sein de l'Union européenne, cherche à s'émanciper d'une dépendance jugée excessive envers les fournisseurs de technologie étrangers, et en particulier ceux basés aux États-Unis. Cette démarche n'est pas uniquement symbolique ; elle répond à des préoccupations concrètes concernant le contrôle et la gestion des données européennes. Qui détient les clefs de nos infrastructures numériques ? Qui définit les règles d'accès et d'utilisation de nos données ? Et qui pourrait potentiellement restreindre l'accès à des services essentiels en cas de tensions géopolitiques ? Telles sont les questions fondamentales auxquelles le Danemark et l'UE cherchent à apporter des réponses concrètes.
En adoptant des solutions open source, le Danemark vise à reprendre la pleine maîtrise de son écosystème numérique. LibreOffice et Linux, par leur nature ouverte, offrent une transparence et une capacité d'audit accrues, permettant aux entités publiques de comprendre précisément le fonctionnement de leurs outils, d'adapter le code à leurs besoins spécifiques et de s'affranchir des logiques propriétaires.
Un calcul économique et une vision à long terme
Au-delà des considérations de souveraineté, l'aspect économique joue un rôle prépondérant dans cette décision. Les coûts liés à l'utilisation des logiciels Microsoft ont connu une augmentation significative ces dernières années pour la ville de Copenhague. Le passage à des alternatives open source représente une opportunité substantielle de réaliser des économies budgétaires à grande échelle. Ces économies peuvent ensuite être réinvesties dans le développement local de compétences numériques, l'innovation open source ou d'autres priorités publiques.
De surcroît, la fin prochaine du support officiel de Windows 10, prévue pour octobre, pose un défi financier et logistique considérable. Maintenir un parc informatique sous un système d'exploitation non supporté nécessite soit des mises à niveau coûteuses vers Windows 11, soit l'acquisition de contrats de support étendus, également onéreux. En migrant vers Linux, le Danemark évite cet investissement contraint, optant pour une plateforme dont la maintenance et les mises à jour sont souvent moins coûteuses et plus flexibles dans le cadre de l'open source.
Une tendance nationale et un soutien politique
La décision du ministère des Affaires numériques n'est pas un cas isolé, mais s'inscrit dans une tendance plus large observée au Danemark. Les grandes villes comme Copenhague et Aarhus ont déjà exprimé leur volonté de réduire leur dépendance aux logiciels Microsoft, soulignant des préoccupations similaires. Certaines motivations ont même des racines géopolitiques plus directes, avec des références aux positions de l'ancien président américain, accentuant la nécessité perçue de réduire la dépendance vis-à-vis des entreprises technologiques basées aux États-Unis.
Cette initiative bénéficie également d'un soutien politique clair. La ministre des Affaires numériques, Caroline Olsen, a elle-même affirmé son engagement en déclarant que son propre ordinateur ferait partie des premiers à être équipés de LibreOffice. C'est un signal fort envoyé à l'ensemble de l'administration et au public, démontrant une adhésion ferme à cette nouvelle orientation.
Le plan de transition : une migration progressive et déterminée
La feuille de route pour cette transition est claire et progressive. La première étape se concentrera sur le remplacement de Microsoft Office 365 par LibreOffice. L'objectif est ambitieux : la moitié des ordinateurs du personnel du ministère, y compris ceux de la ministre, devraient être équipés de LibreOffice dès le premier mois. La vision à long terme est un remplacement total d'ici la fin de l'année, démontrant la détermination du gouvernement à mener à bien cette transformation.
Au-delà des applications bureautiques, la transition s'étendra à l'infrastructure sous-jacente. Il est prévu de migrer les services d'Azure et Windows vers des systèmes de cloud basés dans l'UE, potentiellement en utilisant des solutions comme NextCloud et des environnements Linux. Une telle migration, bien que complexe et exigeante en temps et en ressources, promet une architecture numérique plus résiliente, plus sécurisée et en adéquation avec les principes de souveraineté numérique.
Le précédent du Schleswig-Holstein : source d'inspiration
Le Danemark suit de près le modèle de son voisin, l’État allemand du Schleswig-Holstein, qui a lancé dès 2024 une politique similaire. Ce Land a d’abord migré vers LibreOffice, puis amorcé une transition complète vers Linux sur 30 000 postes de travail. Le Danemark s’inspire de cette démarche structurée, en évitant les erreurs passées de la ville de Munich, dont le projet LiMux avait échoué par manque de coordination et de soutien politique durable.
Pour mémoire, en 2017, le conseil municipal de Munich a pris la décision d’abandonner LiMux, la distribution de Linux créée spécialement pour la ville, afin d’adopter pleinement Windows 10. Les élus de la ville avaient, à l’époque, voté à une majorité de 50 contre 25 la migration de l’ensemble des postes alors sous Linux vers Windows 10. Après Munich, en 2018, une importante migration de Linux vers Windows a été annoncée en Basse-Saxe, un État fédéré d'Allemagne (ou Land).
Les autorités ont expliqué qu’un grand nombre des agents de terrain et des services de support téléphonique du Land utilisait déjà Windows et que de ce fait, il paraissait tout à fait logique de procéder à une standardisation. « L'unification des systèmes de postes de travail existants simplifiera les procédures et facilitera le développement logiciel pour le réseau KONSENS », a expliqué un porte-parole du ministère des Finances de la Basse-Saxe.
Défis et bénéfices Attendus
Bien sûr, une telle transition n'est pas sans défis. La formation des utilisateurs à de nouveaux outils, la gestion de la compatibilité des documents pendant la période de transition, et l'adaptation des processus de travail seront des étapes cruciales. Cependant, les bénéfices attendus dépassent largement ces obstacles potentiels. Outre les économies de coûts et la souveraineté technologique, l'adoption de l'open source peut favoriser une plus grande flexibilité, une sécurité accrue (grâce à la transparence du code et à l'examen par une vaste communauté), et un renforcement des compétences numériques internes.
En fin de compte, la décision du Danemark de délaisser Microsoft au profit de LibreOffice et Linux est bien plus qu'un simple changement de logiciels. C'est une déclaration politique forte, une stratégie économique avisée et un pas décisif vers une ère numérique où le contrôle, la transparence et l'indépendance sont les maîtres mots. Cette initiative danoise pourrait bien servir de modèle et inspirer d'autres nations européennes et administrations publiques à embrasser les vastes potentialités de l'open source.
Le projet n’est pas sans opposants. Certains syndicats d’agents publics s’inquiètent de la courbe d’apprentissage, du manque de compatibilité entre les documents Office et LibreOffice, et de la régression perçue en matière d’ergonomie. Des experts techniques alertent également sur le besoin crucial de support technique, de documentation claire, et de formations continues, faute de quoi la transition pourrait générer frustration et perte de productivité.
Mais les autorités danoises se veulent rassurantes : des budgets de formation massifs sont prévus, et des partenariats avec des acteurs de l’écosystème open source européens sont en cours de finalisation.
Sources : entretien avec Caroline Olsen, ministre des affaires numériques du pays (1, 2), David Heinemeier Hansson
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