
en une décharge numérique ingérable
Le créateur de Linux ne mâche pas ses mots : dans une récente discussion sur la liste de diffusion du noyau, Linus Torvalds a exprimé son exaspération face à l’usage « poubelle » des balises « link » insérées dans les messages de commits Git. Pour lui, ce champ censé documenter les correctifs est devenu un fourre-tout inutile, encombré de doublons et de références mal structurées. Mais derrière ce coup de gueule se cache une question plus large : comment maintenir la qualité d’un projet open source qui fédère des milliers de contributeurs aux pratiques très variées ?
Pour un projet de la taille du noyau Linux, chaque détail de la documentation compte. Les commits Git sont bien plus qu’un simple journal des modifications : ils constituent une archive collective, la mémoire vivante du projet. L’introduction des balises « link » devait répondre à un besoin légitime : relier un patch à une discussion technique, un bug report ou une proposition de modification sur les listes de diffusion.
Mais dans les faits, le champ « link » est devenu un fourre-tout. Au lieu d’apporter de la clarté, il est encombré de doublons, de redirections inutiles et de liens peu pertinents. Certains développeurs y ajoutent plusieurs références qui pointent toutes vers la même discussion, d’autres insèrent des URL génériques sans valeur ajoutée. Le résultat est un bruit documentaire qui fait perdre du temps à ceux qui doivent analyser ou auditer le code.
Pour Torvalds, cette situation est intolérable. Car si un projet de cette envergure tolère des pratiques relâchées, c’est l’ensemble de la traçabilité qui se fragilise.
Il a commenté une demande de modification :

Torvalds : « un lien sans discussion, c’est juste du bruit inutile dans l’historique Git »
Pour Torvalds, le problème n’est pas tant la présence de liens que leur usage « automatique et idiot », qui finit par polluer l’historique. Il estime qu’il faudrait au minimum un mécanisme pour décourager cette pratique, et dans un monde idéal un modèle plus intelligent pour insérer les références : « Dans un monde parfait, lâche-t-il, on aurait un système capable de placer automatiquement un lien utile – pas cette avalanche de redondances collées partout dans l’historique. »
Selon lui, il serait bien plus pertinent d’associer un lien au message de merge d’une série de commits, où il apporte du contexte, plutôt que de polluer chaque commit individuel. Il cite l’exemple d’une série de commits : au lieu de répéter le même lien dans chaque message, il serait bien plus pertinent de l’intégrer dans le message de merge associé à la lettre de couverture. Cela, tranche-t-il, serait « utile et bien moins agaçant ».
Il va plus loin : à ses yeux, un lien ne devrait apparaître que s’il y a eu une discussion réelle autour d’un patch. « Un renvoi vers un vrai fil de débat, même stérile, vaut toujours mieux qu’un lien vers un mail appliqué sans commentaire », martèle-t-il. Et avec ironie, il ajoute qu’il faudrait peut-être laisser l’IA s’occuper de trier ces cas, puisque, après tout, « c’est ce que certaines fiches de poste imposent aujourd’hui ».
Sa conclusion est sans appel : tant que les liens n’apportent rien de concret, ils ne font que transformer les commits Git en dépotoir documentaire, au détriment de la clarté et de la traçabilité.

Les solutions possibles : automatisation, formation ou police des commits ?
Le coup de gueule de Torvalds relance un vieux débat : comment améliorer la qualité documentaire sans décourager les contributions ? Plusieurs pistes existent. Certains suggèrent de renforcer les règles d’acceptation des commits, en refusant systématiquement ceux qui comportent des balises « link » redondantes. D’autres plaident pour l’automatisation : mettre en place des scripts ou des hooks Git capables de détecter les doublons et de signaler les abus.
Une autre option serait de renforcer la pédagogie, en expliquant aux contributeurs la valeur d’une documentation concise et pertinente. Mais dans un projet où la pression du temps est forte et où les patchs affluent quotidiennement, le pari de la formation est difficile à tenir.
Au final, le choix se résume à une question de gouvernance : faut-il privilégier la fluidité des contributions ou la rigueur documentaire ? Linus Torvalds, fidèle à lui-même, penche clairement pour la seconde option.
Une polémique qui dépasse Linux
L’affaire des « link » est loin d’être anecdotique. Elle illustre un problème qui touche l’ensemble des grands projets open source. De Kubernetes à Chromium, en passant par les projets de fondations comme Apache, tous font face à la même difficulté : concilier ouverture maximale et cohérence documentaire.
La multiplication des références, des systèmes de suivi (GitHub, GitLab, mailing lists, bug trackers), et des contributeurs rend la traçabilité de plus en plus complexe. Dans ce contexte, la frustration exprimée par Torvalds résonne comme un avertissement : sans règles claires et respectées, les grands projets risquent de voir leur mémoire collective s’effriter.
La sortie de Torvalds met aussi en lumière un dilemme culturel propre à l’open source. L’ouverture implique d’accepter la diversité des pratiques, des styles et des niveaux de rigueur. Mais cette diversité peut entrer en collision avec l’exigence de qualité et de lisibilité qu’impose un projet de long terme.
Trop de discipline peut décourager les contributeurs occasionnels. Trop de tolérance peut ruiner la cohérence du projet. L’équilibre est fragile, et chaque communauté doit le définir selon son ADN. Pour Linux, Torvalds rappelle que la barre doit rester haute : la discipline documentaire n’est pas un luxe, mais une nécessité.
Comparaison avec d’autres grandes communautés open source
La sévérité de Torvalds contraste avec d’autres cultures du logiciel libre. Chez Mozilla, par exemple, les règles de commit sont également strictes, mais l’accent est mis sur l’accompagnement des contributeurs. Les revues de code servent de filtre qualitatif, et la documentation Git est structurée pour encourager les bonnes pratiques plutôt que sanctionner les mauvaises.
À l’Apache Software Foundation, la gouvernance est plus collégiale : les comités de projet fixent leurs propres règles, souvent plus souples. Cela favorise la diversité et la contribution large, mais peut aussi conduire à une hétérogénéité documentaire qui complique la maintenance.
Dans le cas de Chromium, projet piloté par Google mais ouvert à la communauté, un équilibre est recherché via des outils automatisés : la validation des commits repose largement sur des bots capables de vérifier le style, la cohérence et les métadonnées. L’humain intervient moins, et le système compense les écarts de rigueur par une infrastructure logicielle robuste.
Linux, lui, reste fidèle à une philosophie incarnée par Torvalds : la discipline est d’abord culturelle et humaine. Elle se transmet par l’exemple et par des rappels parfois musclés, quitte à froisser les sensibilités.
Source : Linus Torvalds (1, 2)
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