Sur la question de l’éventualité d’une mise au rebut du langage C, le créateur du langage C3 liste un ensemble de raisons pour lesquelles les initiatives allant dans ce sens ont de fortes chances d’échouer :
La chaîne d'outils du langage C
Le langage C n'est pas seulement le langage lui-même, mais aussi tous les outils de développement développés pour ce langage. Vous voulez faire une analyse statique de votre code source ? - Il y a beaucoup de gens qui travaillent sur ce sujet pour le C. Des outils pour détecter les fuites de mémoire, les courses de données et autres bogues ? Il y en a beaucoup, même si votre langage est mieux outillé.
Si vous voulez cibler une plateforme obscure, il est probable que vous utilisiez le C. Le statut du C en tant que lingua franca de l'informatique d'aujourd'hui fait qu'il vaut la peine d'écrire des outils pour ce langage, et de nombreux outils sont donc écrits.
Si quelqu'un a mis en place une chaîne d'outils qui fonctionne, pourquoi risquer de changer de langage ? Un "meilleur C" doit apporter beaucoup de productivité supplémentaire pour motiver le temps passé à mettre en place une nouvelle chaîne d'outils. Reste même à savoir si cela est possible.
Les incertitudes d'un nouveau langage
Avant qu'un langage ne soit arrivé à maturité, il est probable qu'il comporte des bogues et qu'il soit modifié de manière significative pour résoudre les problèmes de sémantique du langage. Et le langage est-il même conforme à la publicité ? Il offre peut-être quelque chose comme "des temps de compilation exceptionnels" ou "plus rapide que le C" - mais ces objectifs s'avèrent difficiles à atteindre lorsque le langage ajoute l'ensemble des fonctionnalités.
Et qu'en est-il des mainteneurs ? Bien sûr, un langage open source peut être bifurqué, mais je doute que de nombreuses entreprises soient intéressées par l'utilisation d'un langage qu'elles pourraient être obligées de maintenir plus tard. Parier sur un nouveau langage est un gros risque.
Le fait que le langage pourrait tout simplement ne pas être assez bon
Le langage s'attaque-t-il aux véritables points faibles du C ? Il s'avère que les gens ne sont pas toujours d'accord sur ce que sont les points sensibles du C. L'allocation de mémoire, la gestion des tableaux et des chaînes de caractères sont souvent délicates, mais avec les bonnes bibliothèques et une bonne stratégie mémoire, elles peuvent être minimisées. Le langage ne traite-t-il pas des problèmes dont les utilisateurs avancés ne se soucient pas vraiment ? Si c'est le cas, sa valeur réelle pourrait être beaucoup plus faible que prévu.
Et pire encore, que se passe-t-il si le langage omet des fonctionnalités cruciales qui sont présentes en C ? Des fonctionnalités sur lesquelles les programmeurs avancés du C comptent ? Ce risque est accru si le concepteur du langage n'a pas beaucoup utilisé le C, mais vient du C++, du Java, etc.
L’absence de développeurs expérimentés pour un nouveau langage
Un nouveau langage disposera naturellement d'un groupe beaucoup plus restreint de développeurs expérimentés. Pour toute entreprise de taille moyenne ou grande, c'est un énorme problème. Plus il y a de développeurs disponibles pour une entreprise, mieux elle se porte.
De plus, si l'entreprise a l'expérience du recrutement de développeurs C, elle ne sait pas comment recruter pour ce nouveau langage.
L'ABI C
Si le langage ne peut pas facilement appeler - ou être appelé - par du code C, alors toute personne utilisant le langage devra faire un travail supplémentaire pour faire à peu près tout ce qui est interface avec du code extérieur. C'est potentiellement un énorme inconvénient.
Linus Torvalds fait-il fausse route en ouvrant le développement du noyau Linux au langage Rust ?
Les principaux mainteneurs du noyau Linux ont un âge qui commence par le chiffre 5. Certains se rapprochent même de la soixantaine. Du coup, la communauté du célèbre noyau open source commence à penser au changement de générations. Une nouvelle dont la tranche d’âge se situe dans la trentaine gravit les échelons, mais comme Linus lui-même le souligne : « Il s'avère qu'il est vraiment difficile de trouver des personnes qui sont des mainteneurs » ; un fait lié à ceci que le développement du kernel Linux continue de se faire en C et assembleur – des langages auxquels la vieille génération est plus accoutumée ? C’est une possibilité et elle est susceptible d’expliquer pourquoi 2022 pourrait être l’année du langage Rust au sein du noyau Linux.
Les notes de version de Linux 6.0 rc1 dressent un état des lieux des avancées en ce qui concerne le projet Rust for Linux : un groupe de travail y relatif est en place, un pilote préliminaire pour les supports de stockage NVMe développés avec ledit langage est disponible, ainsi qu’un pilote pour un serveur destiné au protocole de réseau 9P. L’équipe continue néanmoins à faire face des difficultés avec la compilation. En effet, elle se fait avec GCC pour le noyau tandis que Rust l’est encore avec LLVM. Un frontend Rust pour GCC est en cours de gestation mais l’initiative est encore au stade de l’enfance.
15,9 % des 2288 vulnérabilités qui ont affecté le noyau Linux en 20 ans (chiffres du dictionnaire Common Vulnerabilities and Exposure (CVE)) sont liées à des tares que traînent le langage C : problèmes liés à la gestion de la mémoire – dépassements de mémoire tampon, allocations non libérées, accès à des zones mémoire invalides ou libérées, etc. Linus Torvalds s’est penché il y a peu sur un potentiel problème de sécurité avec les fonctions primitives d'exécution spéculative de la liste liée du noyau écrit en ANSI C. C’est en corrigeant ce problème qu’il s’est rendu compte qu’en C99 l'itérateur passé aux macros de parcours de liste doit être déclaré dans une portée en dehors de la boucle elle-même. C’est de ce constat que venait sa récente décision de faire passer le noyau Linux au C moderne (C11) dont la normalisation est achevée en 2011. C’est le genre de raisons techniques susceptibles de justifier la mise au rebut du langage C au profit du Rust pour le développement du noyau sur le long terme.
La nouvelle de la prochaine inclusion de Rust for Linux à la version 6.1 du noyau arrive dans un contexte où le regard de Linus Torvalds sur le langage Rust a changé. La prise en charge de Rust pour le développement du noyau Linux se poursuit et est vue comme une « une étape importante vers la capacité d'écrire les pilotes dans un langage plus sûr. » Rust de Mozilla Research est le type de langage de programmation auquel ceux qui écrivent du code pour des systèmes d’entrée/sortie de base (BIOS), des chargeurs d’amorce, des systèmes d’exploitation, etc. portent un intérêt. D’avis d’observateurs avertis, c’est le futur de la programmation système en lieu et place du langage C. En effet, des experts sont d’avis qu’il offre de meilleures garanties de sécurisation des logiciels que le couple C/C++. Chez AWS on précise que choisir Rust pour ses projets de développement c’est ajouter l’efficacité énergétique et la performance d’exécution du C à l’atout sécurité.
Source : lkml
Et vous ?
Pourquoi le langage C pourrait encore avoir de longues années devant lui ?
Le C a-t-il vraiment besoin d’un remplaçant en matière de programmation système ?
Le problème avec le C n’est-il pas plutôt le mauvais usage que certains développeurs en font ?
Voyez-vous des firmes comme Intel faire migrer des projets comme l’UEFI vers le Rust ? Doivent-elles plutôt envisager de passer au Rust pour leurs futurs projets ?
Voir aussi :
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Linus Torvalds souligne une bonne avancée du langage Rust dans le développement du noyau Linux, et aurait qualifié le C++ de « langage de m... », après le message de Google
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