C'est tout de même affligeant de constater non-seulement de déclarer la mort clinique de X11, mais au surplus de dresser la liste des bienfaits de Wayland.... tout en réalisant l'exploit de ne pas souffler mot de ce qui constitue certainement l'un des plus grands retentissements dans le monde du FOSS de ces derniers années, survenu le 5 juin dernier : le fork de Xorg par le développeur Enrico Weigelt alias Metux.
Alors, au risque d'être un peu long, et même si certains parmi vous se sont déjà informés sur cette histoire, laissez-moi par charité informer M. le Calme mais aussi ceux de nos amis développeurs qui ne connaissent peut-être pas très bien X11, des évènements concernant cette pierre angulaire du monde Unixien, qu'il a passés sous silence au profit d'une écume qui ne rend que très partiellement compte de la réalité.
Dans les faits, il convient tout d'abord de rappeler que c'est une société commerciale que vous connaissez tous Red Hat (détenue par IBM) qui a commencé le développement de Wayland il y a plus de... 15 ans !! Oui. Vous avez bien lu. Et devinez quoi : ce sont également des équipes de Red Hat qui étaient supposées effectuer la maintenance évolutive de X11 sous l'égide de la fondation Xorg...
A ce stade, vous les voyez venir (IBM et Red Hat) : pourquoi s'enquiquiner à maintenir deux logiciels concurrents quand on est certain d'être en train de développer la huitième merveille du monde ?
Et bien c'est exactement ce qu'il s'est passé : Red Hat s'est arrangé pour que le tronc du code source de X11 soit vitrifié, d'une part en assignant la majorité de ses développeurs sur le développement de Wayland, et d'autre part (pire), en n'effectuant aucune nouvelle release des près de 3000 corrections que des développeurs tenaces de l'équipe avaient programmées. Certaines de ces corrections dataient de plusieurs années.
C'est en constatant que Red Hat était sur le point de jeter le projet Xorg à la poubelle qu'Enrico a récupéré le code source du projet et l'a transféré sous Github le 5 juin dernier. La réaction de Red Hat ne s'est pas fait attendre : il a été immédiatement banni de leur mailing lists ainsi que de la fondation Xorg.
Le projet XLibre est donc là, et succède à Xorg que cette fondation -- honte à elle -- n'essaye même plus de maintenir, sous la pression conjointe d'IBM et de Red Hat qui auront décidément tout fait pour se débarrasser de X11 afin de laisser la place à leur étron logiciel propriétaire : Wayland, suivant le principe connu et introduit par les pratiques de Microsoft sous le nom "EEE" : Embrace, Extend, Extinguish, principe industriel qui consiste à adopter un logiciel ou standard existant, puis à l'étendre en développant en interne des extensions propriétaires le rendant incompatible avec le logiciel ou standard initial, puis à l'éteindre, en utilisant sa force de frappe commerciale pour lui substituer sa propre version modifiée. C'est ce qui est en train de se passer pour X11...
Alors, vous allez dire : est-ce que XLibre et son équipe de passionnés vont faire le poids face à Red Hat ?
La question est ouverte, mais il faut savoir que la première release de XLibre, numérotée 25.0.0.0, a été publiée le weekend dernier et que déjà la distribution Linux OpenMandriva aurait intégré XLibre dans ses dépôts de code et que BSD, un acteur majeur du monde Unix, a semble-t-il l'intention de supporter XLibre. On peut ainsi espérer que d'autres vont suivre...
Cette précision me permet d'introduire ce qui fait que l'histoire n'est pas encore écrite, car lorsque je précise que BSD a l'intention de supporter XLibre, il s'agit presque ici d'une question existentielle pour cet UNIX de Berkeley qui, bien qu'étant le plus souvent utilisé pour ses qualités de serveur (sans affichage graphique fenêtré), ne dispose que de X11 pour lui offrir une couche graphique, tandis que les auteurs de Wayland auraient récemment indiqué qu'ils comptaient dédier Wayland uniquement à Linux, ce qui, par ricochet, rendrait ainsi tous les autres Unix inéligibles à son utilisation et orphelins d'une couche graphique...
Vous pensez que ça ne compte pas ? Pour ceux d'entre vous qui utilisent un ordinateur Apple au quotidien, rappelez-vous que votre merveilleux bureau MacOSX n'existe QUE parce qu'il a été développé sur la base d'un serveur d'affichage modulaire et portable, qui avait déjà bénéficié de plusieurs décennies d'amélioration, et unique en son genre : X11, et surtout parce que la licence de ce logiciel a permis à Apple d'utiliser à bon compte (gratos) cette base de code pour vous refourguer ensuite à des tarifs indécents son serveur XQuartz.
Alors oui, ça compte ...
Ce que ne vous dit pas cet article qui passe l'histoire essentielle sous silence, c'est qu'en réalité, Wayland n'apporte rien de bien nouveau par rapport à X11, en tout cas rien qui n'eût pu être modifié dans X11 pour le faire évoluer suivant un processus de maintenance corrective bien rodé chez les développeurs...
En pratique, Wayland n'apporte que deux fonctions réellement un peu neuves :
1) Le support du HDR : des corrections proposées par les mainteneurs de X11 pour supporter HDR attendraient déjà depuis des mois d'être intégrées dans le code X11 suivant informations recueillies par mes soins sur le fil de discussion Telegram de XLibre, et
2) Sécurisation de l'affichage. C'est vrai que sur ce point, X11, conçu dans les années 80, n'avait pas eu à faire face aux problèmes de sécurité que l'on connaît aujourd'hui. Exemple : désactiver la possibilité de créer des copies d'écran de certaines applications sensibles. L'équipe de XLibre vient déjà, en seulement quelques jours, d'inclure des correctifs majeurs permettant de renforcer d'une manière intelligente et mesurée la sécurité des applications X11...
Alors comme vous le voyez, en quelques jours/semaines seulement, libéré du joug de son oppresseur, XLibre est parvenu à se hisser fonctionnellement au niveau des nouveautés de Wayland...
Mais il y a l'autre face du miroir : est-ce que Wayland est réellement la merveille annoncée ? Et bien (et parlant ici comme développeur), pas vraiment...
...Car pour concevoir Wayland, c'est bien simple : Red Hat a viré de X11 tout ce qui en faisait l'unicité et sa puissance, à commencer par son support réseau et son architecture historique Client Serveur.
On s'en fout aussi, dites-vous ? Pas vraiment... Pendant qu'avec votre laptop MacBook/Windows, vous êtes obligés d'installer un logiciel Remote Desktop sur votre gros ordi Mac ou Windows qui dort dans le bureau de votre logement, pour pouvoir y accéder ensuite à distance à partir de votre laptop à votre travail, et bien, avec X11 vous n'avez besoin de... rien ! Pourquoi ? Parce que X11 a été conçu pour les universités américaines, à une époque où les serveurs de calcul coûtaient une telle blinde, que les étudiants travaillaient sur de simples petits terminaux bon marché munis de dispositifs graphiques rudimentaires, qu'avec ces terminaux, ils déclenchaient à distance leurs programmes de calcul qui s'exécutaient sur le serveur auxquels ils étaient connectés, et que grâce au protocole de X11, l'affichage graphique des programmes (fenêtres, boutons, etc) était déporté sur leurs terminaux qui ne faisaient donc qu'afficher (sans calculer) les ordres graphiques que le serveur leur envoyait via ce protocole. Ainsi, de cette manière, un étudiant à l'Université de Washington pouvait avec son simple terminal déclencher l'exécution d'un logiciel sur un serveur du MIT dans le Massachusetts et interagir avec son interface utilisateur sur son terminal...
Et vous savez quoi ? 40 ans plus tard, de nombreux Unixiens continuent d'utiliser cette fonctionnalité essentielle de X11, qu'on nomme souvent X11 Forwarding, tous les jours dans le monde entier. Moi y compris.
Et bien, en s'amputant par souci de simplification de cette architecture (ou par flemme), Wayland s'est tout simplement privé d'une partie essentielle des fonctions de X11, réduisant ainsi le dispositif d'affichage modulaire sophistiqué et évolutif de X11 à un simple moteur de compositing vidéo central (X11 disposant pour sa part aussi d'un module de compositing, fonctionnant en mode délégation), qui au passage, plus de 15 ans après le début de sa conception, ne fait toujours pas l'unanimité et donne des signes clairs de manque de fiabilité, suivant les cas d'utilisation...
Mais cela ne s'arrête pas là, parce que non content de s'amputer de son architecture client-serveur, Red Hat a aussi mis en place dans Wayland un modèle de sécurité tellement mal foutu que chaque application Wayland s'exécute désormais dans une fenêtre confinée dans une sorte de bulle sécurisée qui l'isole complètement des autres fenêtres, au point que plus d'une vingtaine des applications essentielles et/ou courantes de Linux (exemples : création de copies d'écran, FFmpeg, OBS, etc) sont actuellement soit complètement cassées ou soit fonctionnellement diminuées.
Alors me direz-vous, ça va s'arranger... Et bien, si vous me disiez cela alors que Wayland avait deux ou trois ans d'existence et qu'il s'agissait d'un simple projet open source développé par des passionnés sur leur temps libre, je pourrais volontiers l'admettre... Mais, dans les faits, ce projet est sponsorisé depuis son démarrage par les subsides généreux d'IBM/Red Hat et il a plus de 15 ans d'existence... Y aurait pas un problème, des fois, ou bien les journalistes qui passent leur temps à glauser sur les qualités de Wayland font-ils exprès de ne pas remarquer l'éléphant en plein milieu du couloir ?
Si j'ajoute enfin à cela, pour disons... "nuancer" l'enthousiasme débordant peu objectif de M. le Calme, que Wayland, pour son fonctionnement optimal, ne supporte que des cartes graphiques récentes et n'est guère plus capable que X11 de bien supporter les cartes graphiques Nvidia dont les drivers posent un problème à tout le monde Unix/Linux, n'apportant ici encore aucune valeur réellement ajoutée par rapport à son concurrent, alors que X11 continue quant à lui de supporter et de s'exécuter correctement sur des matériels plus anciens,
Je crois que vous aurez compris que si Red Hat a tenté de tuer Xorg en arrêtant volontairement sa maintenance, c'est d'abord et avant tout parce qu'ils sont parfaitement conscients que la médiocrité de leur Wayland ne leur permettra pas de l'imposer sur le moyen/long terme contre un logiciel historique, X11, qui bon an mal an, et en dépit de l'absence d'une vraie release dont Red Hat et Xorg ont tout fait pour empêcher la publication depuis 2020, continue de parvenir à fonctionner et de répondre aux besoins de millions d'utilisateurs, pour des besoins quotidiens, bureautiques, multimédias et même de gaming où Linux se pose désormais de plus en plus en concurrent sérieux de Windows.
Et si on considère uniquement le gaming, qui est aujourd'hui le domaine le mieux à même et susceptible de gagner dans le futur de nouveaux utilisateurs Linux agacés par les pratiques de Windows, force est de constater que les benchmarks les plus sérieux sont bien incapables de départager Wayland de X11 en matière de FpS... de ce point de vue, Wayland est donc incapable de se démarquer sérieusement de son aîné de 25 ans en dépit des moyens investis par Red Hat...
L'histoire n'est donc pas encore écrite, mais ce qui est certain, c'est que celle qui l'est déjà ne correspond pas vraiment à ce que cet article laisse entendre, et qu'il est partant important d'entendre d'autres voix...
A bon entendeur...
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